De l'utilité de la littérature en temps de crise humanitaire

Un poète, les pieds bien au sec sur le rivage, regarde un naufrage survenir au loin. Et que fait-il? Il pleure.

-Ne regardez pas les naufragés qui se noient au loin, mais moi qui souffre de les voir mourir! élabore-t-il dans son lyrisme patenté.

Cette histoire est tirée du roman Les frères Karamazov de Dostoïevski. L'époque ne se prête pas à la littérature me disent les uns ou les autres? Au contraire. Elle s'y prête tout à fait. Toute forme de savoir est bienvenue pour résoudre des questions d'apparence insolubles. On sait trop bien le rôle que jouent les privilèges et les préjugés sociaux dans l'élaboration des solutions, fussent-elles collectives.

Cela dit, quand il y a un naufrage au loin, c'est le temps de sortir des kayaks, des bouées de sauvetage et des hélicoptères. Ce n'est pas le temps de pleurnicher en se frappant le coeur. Ce n'est pas le temps de penser à ses placements ni à ses déplacements.

Parce que, voyez-vous, nous sommes tous frères et soeurs.

Nous avons un devoir ancien de s'aimer les uns les autres.

On sait depuis longtemps que le Bon Samaritain ne partage pas nécessairement notre foi et nos croyances.

Est-ce bien nécessaire? Le Bon Samaritain est là quand il le faut, quand personne n'a vue et n'a ramassée la vieille poussière qui crevait sur le bord de la route.

La bonté, pour moi, n'a jamais été une marque de miel.

La liberté n'a jamais été une marque de yogourt...

L'amour de son prochain n'a jamais été une blague que l'on répète seulement devant les caméras de télévision. Une blague sirupeuse à ânonner lors des grandes foires de collectes de fric. Afin de ridiculiser une fois de plus la solidarité pleine, entière et sincère d'une communauté envers ses pauvres et ses indigents.

Mon serment d'allégeance, si serment il y a, je le porte envers la solidarité.

L'humanité qui est en nous doit avoir raison de nos peurs, de nos calculs, de nos préjugés sociaux trop longtemps enracinés qui menacent l'existence même de nos communautés en ne nous promettant qu'encore plus de chaos et plus de souffrances.

Ces mots que je vous écris sont ma bouée de sauvetage. Je m'accroche à eux pour arrimer mes actes aux plus hautes exigences de ma spiritualité vivante. Une spiritualité discrète, comme la brise qui souffle sur notre peau dans la rosée d'un matin d'été.

Mais ce ne sont pas ces mots qui me permettent de me regarder avec un brin d'indulgence dans mon miroir.

Ce sont mes actes.

Aussi trou du cul que j'aurais pu être au cours de ma vie, pour des raisons qui m'échappent peut-être, il me restera des actes pour me sentir fier.

Si jamais je devais crever, j'aurais cette fantaisie de demander seulement une ou deux larmes de gentillesse de mes pairs pour mes bonnes actions, bien plus que pour mes belles pensées et mes hiéroglyphes.

Heureusement, les temps de crise sont aussi des temps de révélations. Tant pour le meilleur que pour le pire de l'humanité. Concentrons-nous sur le meilleur, sans mièvrerie. On découvre des gens exceptionnels en ce moment. Pas nécessairement parmi les «grands» de ce monde qui, subitement, deviennent mêmes fades et inconsistants. En temps de crise, les mondanités et autres superficialités n'ont plus la cote. On s'en fout de ton botox, de tes pommettes, de ton nez en temps de pandémie. On veut savoir ce que tu vaux pour autrui. Le reste, c'est nul à chier.

En temps de pandémie, ce sont ceux et celles que l'on ne voyait jamais qui prennent le devant de la scène. Les travailleurs dits essentiels. Des milliers d'hommes et de femmes qui risquent leur vie pour entretenir la vie, sous les pressions parfois incongrues des profiteurs.

Il y aura une forme de jugement dernier au bout de tout ça. Peut-être pas celui du Nouveau Testament. Peut-être celui des humains, qui est encore plus dur envers la mémoire des gens qui ne se seront pas montrés à la hauteur de leur humanité tandis que leurs frères et soeurs périssaient par centaines et par milliers.

Au procès de Nuremberg, les bourreaux prétendaient n'avoir obéi qu'aux ordres.

Effectivement, ils n'avaient obéi qu'aux ordres.

Et personne n'en a vraiment voulu à la justice de les balancer au bout d'une corde.

Nous n'irons pas jusque là, bien entendu. Mais il y aura une reddition de compte un jour ou l'autre. Combien ça nous coûte de vivre dans un vieux modèle économique qui ne provoque tout au plus que notre disparition en tant qu'espèce vivante, aux côtés de toutes les autres que l'on assassine comme jadis les bisons dans les Prairies?

L'économie est l'état actuel de nos préjugés sociaux.

Enlevons ces préjugés. Dotons-nous d'une conscience sociale et humanitaire. Au lieu de fabriquer des bombes l'on fabriquera des biens et des services de qualité. Au lieu de vivre tout croche l'on pourrait vivre tout court.

Bon. Je retourne à ma guitare.

J'en ai assez écrit pour aujourd'hui.

Aimons-nous ciboire!








Commentaires