Le stress est l'ennemi numéro un de notre civilisation anxiogène.
À moins que ce ne soit cette civilisation anxiogène qui soit l'ennemi de l'humanité...
Quoi qu'il en soit, le stress fait toujours plus partie de nos vies, pour plusieurs raisons inutiles de dévoiler ici. Le réseau de la santé n'y échappe pas, évidemment. Et, bien sûr, il faut faire avec.
Il m'arrive d'assister à la formation des nouveaux préposés.
Je constate que la pierre d'assise de toute la formation de la personne appelée à exercer les fonctions de préposé aux bénéficiaires repose encore plus sur l'attitude que sur les aptitudes.
N'importe qui peut apprendre à peu près n'importe quoi.
L'être humain est une créature merveilleuse qui s'adapte non seulement à son environnement mais aussi à son travail.
Ce n'est pas se mettre les mains dans les excréments qui est le plus difficile.
Je dirais même que c'est la partie la plus facile, aussi dégoûtant que cela puisse paraître.
Le plus difficile demeure encore d'arriver dans les délais sans perdre en cours de route ce zeste d'humanité qui fait toujours la différence.
Il faut aller vite tout en respectant les consignes ayant trait à l'ordre, la sécurité, l'éthique et j'en passe.
Dans tout ce qui est vite fait, malheureusement, on risque de finir par «faire les coins ronds».
C'est un défi quotidien que d'arriver au bout de son quart de travail sans qu'il n'y ait eu d'erreurs, d'incidents ou de manquements aux règles et procédures d'hygiène.
Maude, la préposée, amène Madame X sur la chaise d'aisance. Madame X veut y passer une demie heure parce que c'est long produire son affaire. Madame Y et monsieur Z sonnent depuis dix minutes. Il faut vite aller s'occuper d'eux sans oublier Madame X déjà installée sur la chaise d'aisance. Mais voilà que Monsieur A vient de faire une chute. Il faut délaisser le travail en cours et s'occuper rapidement de Monsieur A, prendre ses signes vitaux, effectuer les manoeuvres appropriées, et surtout se rappeler que Madame X est toujours sur sa chaise d'aisance tandis que de nouvelles tirettes d'urgences s'ajoutent pour faire résonner le pagette à vous en scier le cerveau en deux.
Essayez, pour voir, de sauver quelqu'un de la noyade en ayant après vous un téléphone et un pagette qui sonnent et vibrent sans cesse.
Vous voudriez bien vous en débarrasser pour mieux nager mais c'est impossible. Vous devez faire avec. Et mettre de côté votre stress alors que ça n'arrête pas de faire bipbip, dringdring, coucou, coincoin dans vos appareils...
Et c'est sans compter Monsieur Z qui commence à hurler que personne n'est encore venu le voir depuis dix minutes alors que vous en avez déjà plein les bras, prêt à vous dévisser la tête pour la jeter le plus loin possible de votre travail.
Évidemment, vous aurez besoin de votre tête. Vous ne pourrez pas faire ça. Demeurer calme et flegmatique sera votre défi personnel quotidien. Sinon vous ne serez pas à votre place. De plus, vous serez malheureux et incapable d'arriver dans les délais au travail.
C'est là que la philosophie peut être de bon secours.
Surtout le stoïcisme. Accepter l'inacceptable. Lâcher prise. Ne pas se créer de la mauvaise conscience avec un système qu'on ne peut pas changer. Donner le meilleur de soi-même en son âme et conscience. Demeurer humain dans un système qui ne l'est pas tout à fait...
***
Monsieur H est atteint de la maladie de Parkinson. Ses membres n'obéissent presque plus aux mouvements. Il faut stimuler cérébralement le cerveau de Monsieur H pour qu'il puisse bouger une jambe, un bras, un doigt. C'est l'une des pires conditions qui soit eu égard à la réalité vécue sur le terrain. Monsieur H est extrêmement lent dans un système qui exige d'être très rapide. Il faut couper court par tous les moyens. L'amener à la chaise d'aisance plutôt qu'à la toilette. Limiter les demandes de Monsieur H pour pouvoir donner aussi du temps à tous les autres.
Monsieur H trouve qu'on le néglige.
Monsieur Z aussi.
Et même Madame X.
Personne ne semble se demander comment une seule personne peut être partout en même temps.
Dieu a le don d'ubiquité. Pas Maude la préposée.
Non seulement lui faut-il maîtriser son stress, qui est immense, mais aussi faire comme si elle pouvait se cloner elle-même en essuyant toutes sortes de remarques désobligeantes.
Elle finira par y arriver si elle se limite à effectuer ses tâches de façon systématique, en limitant les discussions par exemple. Le bénéficiaire aura de plus en plus l'impression d'avoir affaire à un robot, mais au moins il aura le service qu'il demande, rapidement et sans trop de blablas.
Quant à Monsieur H, qui a le Parkinson, eh bien il continue de croire qu'il est en enfer.
Il n'a pas tout à fait tort, de son point de vue.
Mais personne ne peut rien y faire.
Personne.
Ça prendrait un préposé pour deux malades atteints de Parkinson, mettons.
On n'en a qu'un seul pour une quarantaine de patients qui apprennent justement à patienter.
L'impatience finit par prendre le dessus pour tout le monde.
Les tirettes d'urgence se font aller.
Maude en a plein son casque, hier comme aujourd'hui et comme demain.
C'est comme ça tous les jours.
Elle n'a pas tant la vocation que besoin d'argent.
Autrement, ça ferait longtemps qu'elle serait ailleurs.
Sa voisine lui a parlé d'un restaurant qui se cherche une serveuse.
Sa voisine prétend que ce serait moins stressant que sa job de préposée aux bénéficiaires.
De plus, le restaurant ne l'obligerait pas à suivre toutes sortes de formations superflues et carrément contre-productives chaque fois qu'un fonctionnaire qui ne sort jamais de son bureau a une illumination qui éteint toute forme de génie.
On ne lui demandera pas une formation de 180 heures pour flipper des boulettes de steak haché et torcher des comptoirs.
Au restaurant, elle n'aurait pas besoin d'appliquer ses techniques de RCR trois fois par jour.
Elle leur servirait des assiettes, ils mangeraient, payeraient et s'en iraient ensuite.
Elle n'aurait pas besoin de border ses clients au lit.
De plus, le salaire serait sensiblement le même.
Quoi qu'elle pourrait faire encore plus d'argent avec les pourboires au restaurant...
À moins que ce ne soit cette civilisation anxiogène qui soit l'ennemi de l'humanité...
Quoi qu'il en soit, le stress fait toujours plus partie de nos vies, pour plusieurs raisons inutiles de dévoiler ici. Le réseau de la santé n'y échappe pas, évidemment. Et, bien sûr, il faut faire avec.
Il m'arrive d'assister à la formation des nouveaux préposés.
Je constate que la pierre d'assise de toute la formation de la personne appelée à exercer les fonctions de préposé aux bénéficiaires repose encore plus sur l'attitude que sur les aptitudes.
N'importe qui peut apprendre à peu près n'importe quoi.
L'être humain est une créature merveilleuse qui s'adapte non seulement à son environnement mais aussi à son travail.
Ce n'est pas se mettre les mains dans les excréments qui est le plus difficile.
Je dirais même que c'est la partie la plus facile, aussi dégoûtant que cela puisse paraître.
Le plus difficile demeure encore d'arriver dans les délais sans perdre en cours de route ce zeste d'humanité qui fait toujours la différence.
Il faut aller vite tout en respectant les consignes ayant trait à l'ordre, la sécurité, l'éthique et j'en passe.
Dans tout ce qui est vite fait, malheureusement, on risque de finir par «faire les coins ronds».
C'est un défi quotidien que d'arriver au bout de son quart de travail sans qu'il n'y ait eu d'erreurs, d'incidents ou de manquements aux règles et procédures d'hygiène.
Maude, la préposée, amène Madame X sur la chaise d'aisance. Madame X veut y passer une demie heure parce que c'est long produire son affaire. Madame Y et monsieur Z sonnent depuis dix minutes. Il faut vite aller s'occuper d'eux sans oublier Madame X déjà installée sur la chaise d'aisance. Mais voilà que Monsieur A vient de faire une chute. Il faut délaisser le travail en cours et s'occuper rapidement de Monsieur A, prendre ses signes vitaux, effectuer les manoeuvres appropriées, et surtout se rappeler que Madame X est toujours sur sa chaise d'aisance tandis que de nouvelles tirettes d'urgences s'ajoutent pour faire résonner le pagette à vous en scier le cerveau en deux.
Essayez, pour voir, de sauver quelqu'un de la noyade en ayant après vous un téléphone et un pagette qui sonnent et vibrent sans cesse.
Vous voudriez bien vous en débarrasser pour mieux nager mais c'est impossible. Vous devez faire avec. Et mettre de côté votre stress alors que ça n'arrête pas de faire bipbip, dringdring, coucou, coincoin dans vos appareils...
Et c'est sans compter Monsieur Z qui commence à hurler que personne n'est encore venu le voir depuis dix minutes alors que vous en avez déjà plein les bras, prêt à vous dévisser la tête pour la jeter le plus loin possible de votre travail.
Évidemment, vous aurez besoin de votre tête. Vous ne pourrez pas faire ça. Demeurer calme et flegmatique sera votre défi personnel quotidien. Sinon vous ne serez pas à votre place. De plus, vous serez malheureux et incapable d'arriver dans les délais au travail.
C'est là que la philosophie peut être de bon secours.
Surtout le stoïcisme. Accepter l'inacceptable. Lâcher prise. Ne pas se créer de la mauvaise conscience avec un système qu'on ne peut pas changer. Donner le meilleur de soi-même en son âme et conscience. Demeurer humain dans un système qui ne l'est pas tout à fait...
***
Monsieur H est atteint de la maladie de Parkinson. Ses membres n'obéissent presque plus aux mouvements. Il faut stimuler cérébralement le cerveau de Monsieur H pour qu'il puisse bouger une jambe, un bras, un doigt. C'est l'une des pires conditions qui soit eu égard à la réalité vécue sur le terrain. Monsieur H est extrêmement lent dans un système qui exige d'être très rapide. Il faut couper court par tous les moyens. L'amener à la chaise d'aisance plutôt qu'à la toilette. Limiter les demandes de Monsieur H pour pouvoir donner aussi du temps à tous les autres.
Monsieur H trouve qu'on le néglige.
Monsieur Z aussi.
Et même Madame X.
Personne ne semble se demander comment une seule personne peut être partout en même temps.
Dieu a le don d'ubiquité. Pas Maude la préposée.
Non seulement lui faut-il maîtriser son stress, qui est immense, mais aussi faire comme si elle pouvait se cloner elle-même en essuyant toutes sortes de remarques désobligeantes.
Elle finira par y arriver si elle se limite à effectuer ses tâches de façon systématique, en limitant les discussions par exemple. Le bénéficiaire aura de plus en plus l'impression d'avoir affaire à un robot, mais au moins il aura le service qu'il demande, rapidement et sans trop de blablas.
Quant à Monsieur H, qui a le Parkinson, eh bien il continue de croire qu'il est en enfer.
Il n'a pas tout à fait tort, de son point de vue.
Mais personne ne peut rien y faire.
Personne.
Ça prendrait un préposé pour deux malades atteints de Parkinson, mettons.
On n'en a qu'un seul pour une quarantaine de patients qui apprennent justement à patienter.
L'impatience finit par prendre le dessus pour tout le monde.
Les tirettes d'urgence se font aller.
Maude en a plein son casque, hier comme aujourd'hui et comme demain.
C'est comme ça tous les jours.
Elle n'a pas tant la vocation que besoin d'argent.
Autrement, ça ferait longtemps qu'elle serait ailleurs.
Sa voisine lui a parlé d'un restaurant qui se cherche une serveuse.
Sa voisine prétend que ce serait moins stressant que sa job de préposée aux bénéficiaires.
De plus, le restaurant ne l'obligerait pas à suivre toutes sortes de formations superflues et carrément contre-productives chaque fois qu'un fonctionnaire qui ne sort jamais de son bureau a une illumination qui éteint toute forme de génie.
On ne lui demandera pas une formation de 180 heures pour flipper des boulettes de steak haché et torcher des comptoirs.
Au restaurant, elle n'aurait pas besoin d'appliquer ses techniques de RCR trois fois par jour.
Elle leur servirait des assiettes, ils mangeraient, payeraient et s'en iraient ensuite.
Elle n'aurait pas besoin de border ses clients au lit.
De plus, le salaire serait sensiblement le même.
Quoi qu'elle pourrait faire encore plus d'argent avec les pourboires au restaurant...
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