Retour en 1987 ou comment mettre fin à la pénurie de main d'oeuvre dans les soins de santé

En ces temps de populisme on ne saurait trop se méfier des solutions qui, d'apparence simples, nourrissent autant l'ignorance que le simplisme.

Néanmoins nous aurions tort de croire qu'il n'y a pas lieu de hurler de rire face à certaines lourdeurs administratives qui paralysent autant les soins de santé publics que la démocratie en général.

Les soins de santé, tout comme les autres secteurs, font face à une pénurie de main d'oeuvre.

Le salaire y joue certainement un rôle.

J'ai toutefois l'impression que les conditions de travail sont suffisamment médiocres pour se questionner sur l'attrait qu'on pourrait avoir pour ce type de métier.

Par exemple, ce n'est pas facile d'être préposéE aux bénéficiaires. On fait face à des pressions psychologiques et même des agressions physiques. Vous ne verriez pas ça dans un restaurant ou bien un bureau de poste, sans vouloir mépriser ces milieux de travail. C'est pour dire que le préposéE aux bénéficiaires vit à peu près les pressions d'un premier répondant.

La Ministre responsable des aînés et des proches aidants, Mme Marguerite Blais, vient d'annoncer la création d'un fonds de je ne sais trop combien de millions de dollars qui servira à offrir une bourse de 7500$ aux personnes qui sont près à subir le cours de 800 heures qui leur permettra de devenir préposé aux bénéficiaires «full patch» dans le secteur public.

Ce 7500$ devra cependant être remboursé si la personne quitte son emploi avant le terme de deux ans... On se croirait revenu en 1758, au temps de l'intendant Bigot, avec les colons qui vendent leur vie aux seigneurs. C'est tout un progrès social, vous ne trouvez pas?

Mais ce n'est pas tout.

Je viens de subir un cours de 160 heures pour correspondre aux normes de travail relatives à une résidence pour aînés reconnue par le Centre intégré universitaire de santé et services sociaux (CIUSSS).

Pour faire une histoire courte, j'ai travaillé deux ans au Centre hospitalier de l'Université Laval (1987-1989) et deux ans au Foyer Joseph-Denys (ancêtre des CHSLD, de 1991 à 1993).

Je suis revenu dans le métier en novembre 2018 pour plusieurs raisons inutiles d'expliquer ici.

Je ne pourrais pas travailler dans le secteur public malgré mes quatre années d'expérience dans le secteur public, ma formation de 160 heures (incluant RCR, PDSB, administration de médicaments, injection d'insuline, etc.) et mes expériences qui se poursuivent en ce moment.

On me demanderait de suivre la formation de 800 heures avant que de m'autoriser à devenir préposé aux bénéficiaires dans le secteur public.

L'ironie c'est que les préposéEs aux bénéficiaires du secteur public ne passent pas de médicaments et n'injectent jamais d'insuline.

En 1987, je suis devenu préposé aux bénéficiaires en moins d'une semaine au CHUL. J'ai été embauché un 18 décembre. J'ai reçu des vaccins le 19 décembre. Puis le 20 décembre on m'a donné un cours pour déplacer de façon sécuritaire les personnes et on m'a aussi rappelé de toujours me laver les mains ainsi que de porter des gants. Le 21 décembre j'avais mon premier training avec un préposé aux bénéficiaires de l'unité des soins coronariens. Le 24 décembre je travaillais seul en remettant à chaque début de quart de travail une fiche d'évaluation de mon travail que devait remplir l'infirmière en chef. Je suis sorti du CHUL le 26 décembre au midi après 36 heures de travail en ligne, payées temps et demi, temps double, temps triple. Il manquait de personnel.

J'ai appris sur le tas. Je suis passé par tous les départements du CHUL: urgence, soins intensifs, bloc opératoire, psychiatrie, gériatrie, etc.

Je ne pourrais pas travailler tout de suite à l'hôpital ou dans un CHSLD malgré mes relativement bonnes compétences pour A) me laver les mains, B) laver les gens, C) désinfecter avant, pendant et après, D) avoir une approche plutôt humaine malgré les contraintes de temps et le manque d'effectifs.

Croyez-vous que je vais suivre ce cours de 800 heures?

Jamais! Qu'est-ce qu'ils apprennent tant en 800 heures? Comment plier et déplier une débarbouillette? Heu... oui. Je vous jure que oui...

Avec ma formation de 160 heures je peux faire plus qu'unE préposéE aux bénéficiaires du secteur public. Je peux passer des médicaments, prendre des glycémies, des tensions artérielles, injecter de l'insuline... On ne fait pas ça dans le secteur public. On fait la moitié de ce que fait le préposéE du secteur privé avec sa formation de 160 heures qui est ennuyante à mourir et beaucoup trop longue pour rien. Croyez-moi qu'on dormait sur les bureaux avec 160 heures de cours.

Apprendre sur le tas, c'était la norme d'un travail qui consiste essentiellement à nettoyer un être humain et à le supporter dans ses déplacements. Le reste, la gentillesse et la politesse, il semble même qu'on puisse s'en passer tellement il manque de bras.

On a cru à tort qu'il fallait flatter la vanité du Ministère de l'Éducation avec toutes sortes de formation qui ont malheureusement détruit l'organisation des soins de santé qui croule maintenant sous la paperasse. Les moindres faits et gestes des préposéEs et de tous les intervenantEs du milieu nécessitent huit cartables de notes quotidiennes...

Il n'y a plus de bras pour les personnes. Il n'y a que des normes. Du papier. Des formules gagnantes qui sont perdantes à tout coup. Le travail n'est plus fait par des personnes mais par des formulaires...

Je pense qu'on a raté quelque chose dans le tournant des années '90.

Je peux paraître simple, simpliste, voire populiste.

Je m'en voudrais d'être perçu ainsi.

Je veux seulement dire qu'apprendre sur le tas est une réponse rapide à une crise majeure des soins de santé. On vérifie les antécédents judiciaires. On demande si le candidat ou la candidate est capable de forcer sans se briser la colonne. On lui donne une formation sur l'hygiène. Et hop! au boulot.

On ne pourra pas attendre deux ans pour former de nouveaux effectifs qui combleront à peine les départs et les désillusions des préposéEs.

Pourquoi ne reviendrait-on pas aux bonnes vieilles méthodes du CHUL en 1987?

Je pense qu'on a fait un pas trop pire préposéE aux bénéficiaires avec moi.

Assez bon pour ne pas me faire cramper de rire avec ce cours de 800 heures et cette bourse de 7500$ pour devenir colon pendant 2 ans dans la saigneurie (sic!) de la Santé.




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