Mon père voulait que je sache lire et écrire pour défendre les pauvres

Mon père m'emmenait souvent à la bibliothèque quand j'étais jeune.

Il était opérateur de chariot-roulant dans une aluminerie. Il y est probablement mort d'un cancer industriel à l'âge de 62 ans. Ma mère n'a jamais touché sa pension de veuve de la compagnie même si mon père y avait travaillé 35 ans. Les actuaires lui ont fait signer une clause selon laquelle il aurait pleine retraite à 62 ans mais s'il crevait avant 65 ans ma mère n'aurait rien.

Mon père avait une huitième année. Il savait lire et écrire. Mais pas autant que moi sans doute...

En m'emmenant à la bibliothèque, alors que j'avais 10 ou 12 ans, mon père me disait de ne pas prendre que des bandes dessinées.

-Prends toé aussi des livres d'histoire, de science... Renseigne-toé... Un gars qui sait lire et écrire, on va l'appeler monsieur pis on ne le niaisera pas comme un gars de shop... Écoute c'que j'dis mon gars...

Je l'ai écouté. Comme mon frère aîné Christian avant moi. J'ai vidé les bibliothèques de tous leurs livres. Il aura fait de nous des intellectuels.

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J'ai souvent eu à défendre la justice sociale et la dignité humaine autour de moi. Pas parce que je suis un héros. Pas parce que je suis un homme bon. On peut bien le croire et j'en suis plutôt flatté. Cela dit, mes motivations sont toutes autres.

Je sais écrire. C'est une arme dont ne dispose pas la plupart de mes collègues de travail pauvres, avec peu d'éducation, sinon d'origine étrangère et maîtrisant mal la langue écrite.

J'ai fait des études en droit à l'Université Laval et des études en philosophie à l'UQTR. J'ai un baccalauréat. Et pourtant je suis préposé aux bénéficiaires. Pourquoi? Parce qu'aider les autres est  dans ma nature. Mon père et ma mère étaient bénévoles pour la Saint-Vincent-de-Paul.

Mon père était comme Michel Chartrand ou Jean le Baptiste. Abonné des lignes ouvertes, il y gueulait souvent en donnant son nom et son prénom ainsi que son adresse, au grand dam de ma mère qui en était souvent terrorisée et nous incitait à prier pour la paix...

Conrad m'a enseigné à ne pas avoir peur de me réclamer de la justice et de la dignité humaine.

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J'écris. Oui je sais écrire.

J'ai rarement reçu des menaces par écrit. Toujours par téléphone. Ou par la bande. Parce que mon père avait raison: on ne peut pas écraser celui qui sait écrire.

On peut tenter de le faire taire.

On peut faire des pressions sur sa famille.

Mais l'écrivain reste là, entier, immuable, éternel. Plus grand que nature. Une honte pour tous les petits caporaux qui rêvent de faire du mal aux autres sans se faire remarquer.

Les paroles meurent et les écrits restent.

Cela ne me désole pas du tout: c'est ma plus grande consolation!

Ce que j'écris sera toujours moins confus que ce que diront mes hypothétiques contempteurs.

Il y a plusieurs années de travail derrière le coup de pinceau de l'artiste.

Idem pour son coup de plume.

Bref, merci papa. Tu m'as fait commencer très tôt. Ce fût mon plus bel héritage, même si parfois j'en souffre.




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