Les superpréposéEs

J'ai eu une longue conversation téléphonique hier avec M. Michel Lemelin, président et directeur général de la Fédération professionnelle des préposés aux bénéficiaires du Québec. (FPBQ)

L'homme en question était affable et s'expliquait avec aisance au téléphone.

Il connaît ses dossiers. Et il m'en a appris un peu plus sur ma profession qui est devenue nettement plus complexe qu'elle ne l'était il y a 30 ans lorsque j'ai débuté au Centre hospitalier de l'Université Laval.

Premier constat: les préposés sont en cours de devenir des superpréposés.

Plus de 80 actes autrefois réservés aux infirmières et infirmiers sont maintenant accomplis par des superpréposés.

On fait bien plus que passer un simple coup de torchon entre les fesses, tant dans le secteur public que privé.

Les superpréposés peuvent maintenant changer une sonde, assister aux chirurgies, distribuer des médicaments, injecter de l'insuline, etc.

M. Lemelin m'a confirmé que plusieurs répètent ce que j'entends souvent dire de mes collègues superpréposés.

-J'suis venu travailler icitte pour être préposée aux bénéficiaires! Pas pour devenir infirmière bon dieu d'la vie!!!

Ce stress est pratiquement incontournable. Les résidences pour aînés (RPA) font appel à des superpréposés pour distribuer des médicaments et injecter de l'insuline. Parce que ça coûte moins cher qu'une infirmière. Et parce qu'un superpréposé ça torche, fait le service aux tables à la salle à manger, sort les poubelles, lave les planchers, etc.

On exige de ces superpréposés de comprendre en trois heures ce que l'infirmière doit comprendre au bout de trois ans...

Ce n'est pas tant que les formations soient incomplètes. Je dirais même qu'elles se dédoublent dans le cafouillis et la gabegie coutumières des soins de santé au Québec. Le problème réside dans le stress que beaucoup de ces superpréposés n'ont pas eu le choix d'assumer. Le stress de commettre une erreur médicale grave qui pourrait entraîner la mort.

Si vous ne connaissez pas bien votre protocole d'intervention en cas d'hypoglycémie, vous pourriez plonger quelqu'un dans le coma et peut-être la mort en lui injectant de l'insuline au lieu de lui faire prendre 3 cuillères à thé de sucre ainsi qu'une collation protéinée.

Les erreurs de médication augmenteraient en flèche depuis l'adoption de ces nouvelles mesures. Je vous avouerais ne pas avoir les chiffres devant moi. Mais cela me semble plausible. Parce que les superpréposés ne savaient pas qu'ils devaient devenir superpréposés sous peine de ne pas satisfaire aux nouvelles exigences de leur emploi...

Imaginez, pour faire une histoire courte, que vous êtes concierge dans une école. Vous faites ce métier depuis 30 ans. Puis, un beau jour, on vous dit que pour garder votre poste il faudrait que vous passiez une formation pour administrer des médicaments, injecter de l'insuline et, pourquoi pas, visser des hanches avec un outil Black & Dekker...

Vous seriez, bien sûr, décontenancé.

Eh bien les superpréposés sont justement décontenancés.

Bientôt on leur mettra un scalpel entre les mains.

Le chirurgien leur donnera une formation de trois heures, par vidéoconférence, dans un local du CIUSSS. Puis, scalpel en mains, ils devront couper tout ce qu'on leur demande comme s'ils étaient des drones.

Les superpréposés ont la vague impression d'être manipulés voyez-vous.

Et que voulez-vous qu'ils y fassent?

Faire ce qu'il faut, comme d'habitude.

Sans s'inquiéter qu'il n'existe aucune assurance privée ou collective qui couvre le superpréposé d'une poursuite au civil...

Parce qu'il n'y a pas vraiment d'ordre professionnel des préposés aux bénéficiaires.

Un terme qui d'ailleurs n'existe qu'au Québec.

Ailleurs, partout dans le monde, même au Canada, on dit aide soignant.

Ce serait le fun de voir comment ça se passe ailleurs.

Je vous avouerais que ça manque à ma culture.

Et comme je suis en voie de devenir un superpréposé full patch, eh bien je dois déjà vous laisser.

Je dois me reposer si je veux faire mon quart de nuit.

C'est ça qui est ça.








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