Sortir de la Covid-19 après 14 jours de fin du monde ordinaire

La peur est inhérente à l'inconnu.

L'être humain n'est fait ni pour la peur ni pour l'inconnu. Il a besoin de croire pour avancer. Autrement, il se comporte comme n'importe quel mammifère devant le feu.

Ce qui me fait avancer, malgré la peur, ce n'est pas l'argent. Ni les promesses de François Legault. Ce qui me fait avancer, c'est quelque chose comme un sens élevé des valeurs morales. Ça vient avec ma grande gueule et mon indignation. On ne choisit pas ses quantités, que voulez-vous. Si Docteure Joanne Liu était plus humble face à la science des caquistes, on n'aurait pas été obligé de gérer cette pandémie comme une bande de peewees.

Il y a beaucoup d'inconnu autour de la Covid-19. Moi et Carole sommes en quatorzaine. Nous devrons être testés négatif deux fois à la Covid-19 avant que de reprendre le travail. C'est-à-dire cette semaine si tout va bien. Et c'est sans savoir si nous serons immunisés. Et combien de temps nous le serons. Beaucoup d'inconnu donc.

Deux résidentes et un convalescent sont décédées des suites de la Covid-19 là où je travaille. Dix-sept patients infectés ont été transférés à l'hôpital. Plus de 80% des membres du personnel ont été testés positif à la Covid-19. Six de nos camarades de travail ont été malades comme des chiens. Du genre à faire part de leurs dernières volontés à leurs proches. Bref, ce fût une éclosion fulgurante de Covid-19. La charge virale devait être au maximum. On s'y promenait la bouche grande ouverte, béat devant les miasmes du coronavirus qui nous foutait la trouille et la fièvre. Et nous improvisions dans ce chaos. N'eût été de l'indignation de Carole, ma conjointe qui est aussi la directrice de la résidence, on laissait mourir les résidents sans les transférer, sans créer de zone chaude et de zone froide, tout le monde mêlés ensemble.

J'ai été témoin de cette improvisation de la Santé publique. On y reviendra en temps et lieux.

J'en ai piqué de saintes colères.

J'étais au bord de la crise de nerfs. Qui ne le serait pas? On savait depuis mars que là où l'on porte le masque, en Corée du Sud ou à Hong-Kong par exemple, la courbe des décès est mille fois rien comparée à celle du Québec ou de l'Italie.

On connaît la procédure d'isolation et les mesures de prophylaxie appropriées en cas d'éclosion de gastro-entérite. Voilà que survient quelque chose d'encore plus mortel et plus subit, un coronavirus à trois souches à peu près inconnues. C'est la panique pour les préposéEs qui sont au front. Pour les gestionnaires, cachés derrière les lignes, c'est difficile de se maîtriser en tant que peureux et poltrons qui se soumettent au «formulaire A38».

On n'a pas assez de masques et de personnel, parce qu'on se fout d'avoir un filet social. Alors on se sert des préposéEs aux bénéficiaires comme de la chair à canon. On les envoie au front avec un matériel de protection ridicule et des primes à n'en plus finir. (Dont personne n'a encore vue la couleur par ailleurs! Trop drôle!) Des vraies promesses de vendeurs de char. Avec des soins de santé gérés par la méthode Toyota. Seulement des bons comités qui ne sont responsables que devant les actionnaires, sinon l'actionnaire principal, le promoteur du pays ou de la province en question. Le banquier. Je ne sais pas trop qui ou quoi. C'est pareil pour l'organigramme du CIUSSS.

Tout le monde souffre des organigrammes et des structures de pouvoir où l'omerta est de mise.

L'incendie du réacteur nucléaire de Tchernobyl aurait pu être évité si les camarades avaient seulement parlé un petit peu au lieu de tout cacher à leur organigramme pour ne pas se mettre dans le trouble...

Parler, témoigner, sans craindre de représailles, est non seulement légitime. C'est pour moi un devoir civique.

C'est d'autant plus ridicule d'avoir peur de parler, pour les préposéEs, qu'ils et elles risquent leur vie pour vrai, chaque jour, sans savoir si dans les quatorze prochaines surcharges de travail ça ne se terminera pas aux soins intensifs. Parce qu'ils et elles font face à une charge virale supérieure à ce que vous allez trouver à l'épicerie ou bien à la garderie.

Je me suis dit, au pic de l'éclosion de la Covid-19 à notre résidence, que si je n'avais plus que quatorze jours à vivre, j'allais les vivre dans la vérité et certainement pas le mensonge.

Ce ne sont pas les mensonges de nos politiciens qui me feront retourner au travail, cette semaine ou la semaine prochaine, sans même savoir si je suis immunisé. Et pour combien de temps je le suis. Et plein d'autres questions comme ça.

Je vais y retourner parce qu'il le faut.

J'aurais pu y laisser ma peau.

Je pourrais demander à être retiré du front: diabétique de type 2, 52 ans, blablabla.

Eh bien non! J'y reviendrai.

Sous de meilleurs auspices peut-être. Tout le monde semble guérir peu à peu de cette «première vague» qui a frappé notre résidence. Les survivants et survivantes se reverront bientôt. Comme si l'on revenait d'un naufrage parmi des milliers d'autres naufrages en cours... C'est fou. Et touchant.

Comme si l'on pouvait espérer quelque chose comme un moment de calme avant toute autre tempête.

On va avoir la larme à l'oeil. De se revoir. De se parler. D'être encore en vie.

C'est trop fou tout ça.

Trop fou.

Mais c'est comme ça.

Et, entre temps, il y a toujours le formulaire A38. Mais qu'est-ce qu'on s'en torche n'est-ce pas?

Crissez-vous lé dans l'cul votre formulaire A38, sérieux.

On a du monde à prendre soin.






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